GUNNAR STAALESEN UN AUTEUR DE ROMAN POLICIERS AU PAYS DES OURS BLANCS

Quand ma première maison d’édition francaise s’est mise en quête d’un slogan adéquant pour mon détective norvégien qui porte le vieux nom nordique de VARG VEUM, une des suggestions faites fut: Varg Veum, détective privé au pays des ours blancs.

Je devrais donc peut-être me présenter ainsi: "Gunnar Staalesen, auteur de romans policiers au pays des ours blancs."

En réalité il y a fort peu d’ours blancs en Norvège. A vrai dire le nombre de détectives n’est guère plus élevé. Mais comme vous le savez, il existe des écrivains dans ce pays, bien qu’ils soient une minorité à écrire des romans policiers. De mes collègues contemporains ayant écrit des oeuvres policières, je ne connais qu’une dizaine.

Qu’il me soit permis tout d’abord de me considérer comme étant suspect et de prosaïquement donner sur ma personne les renseignements suivants.

C’est en 1947 que je suis né à Bergen, deuxième ville de Norvège située sur la côte ouest de ce pays. Les habitants de Bergen l’appellent la capitale culturelle de Norvège, mais il n’est pas sûr que les habitants d’Oslo soient d’accord sur ce point.

J’ai fait mes débuts de romancier en 1969, convaincu, comme tant d’autres jeunes écrivains, que j’étais le nouveau Knut Hamsun. Il s’est avéré que je m’étais trompé.

En 1975 est sorti mon premier roman policier, et en 1977 le premier livre ayant pour héros Varg Veum, le premier de mes livres publiés en France, Le loup dans la bergerie. À ce jour j’ai écrit une longue série de romans policiers, deux receuil de nouvelles policiers, plusieurs romans, entre eux une trilogie de Bergen dans le vingtiéme siècle, trois romans d’aventures pour les jeunes et diverses pièces de théâtre et adaptions.

Mes rélations avec la France sont étroites et chaleureuses depuis que j’ai appris à chanter "Douce France" au lycée. J’ai par la suite fait des études de francais à l’Université de Bergen à la fin des années 60. Je dois pourtant avouer que dans la mémoire que j’ai écrit il était question de littérature américaine et les livres de l’auteur Jack Kerouac.

Puis ma carrière s’est diversifiée.

Comme je l’ai dit au début: Bergen est située sur la côte ouest de la Norvège. C’est sur une autre côte ouest que l’on trouve Los Angeles et San Francisco, lieux où ont sévi deux des auteurs d’histoires policières les plus importants de l’histoire de la littérature, Raymond Chandler et Dashiell Hammett. Je n’ai jamais caché, pas plus ici qu’ailleurs, l’influence qu’ont eu sur moi ces deux-là ainsi que leur successeur Ross Macdonald. Comme Chandler l'a dit de Hammett: il a sorti les meurtres des manoirs britanniques pour les placer dans les arrière-cours où ils ont été réellement commis. C’est ainsi qu’il a créé le roman policier moderne, fortement ancré dans la societé, souvent appellé "le pur et dur," mais auquel on a, surtout au cinéma, donné le nom francais de "noir": romans noirs, films noirs. Et ce n’est pas sans raison, car c’est en France, surtout les critiques, qu’on a chanté les louanges de ces écrivains bient avant qu’ils ne soient reconnus dans leur pays natal.

J’ai moi-même fait mes débuts d’auteur de romans policiers cans une série qui en norvégien s’appellait Den svarte serie, traduction littérale de la légendaire Serie Noire francais.

Mais un auteur de roman policiers norvégien, a-t-il quelque chose à apporter à la France, pays où Vidocq avec ses Mémoires publiés au début du dix-neuvième siècle a posé la première pierre de l’histoire de la littérature criminelle; pays où de source officielle s’est déroulée la première histoire criminelle classique, "Les meurtres de la Rue Morgue", oeuvre écrite, il est vrai, par un Américain; pays où des écrivains tels que Gaborieau et Leroux ont contribué à développer l’intrigue criminelle classique; et enfin, pays où pendant des années le commissaire Maigret a régné sur le Quai des Orfèvres? – N’oublions quand même pas que quelques meurtres littéraire ont aussi été commis en Norvège, et cela avant les célèbres crimes de la Rue Morgue. Remarquons en passant que celui qui est peut-être le plus grand écrivain de Norvège, Henrik Ibsen, utilise dans presque toutes ses pièces modernes une forme qui à n’en pas douter ressemble beaucoup à une histoire criminelle, dans laquelle les secrets du passé sont progressivement dévoilés.

On peut dire d’autre part que dans les pays nordiques l’intérêt pour la littérature criminelle a toujours été très grand, quelle qu’en soit la raison; peut-être pour mettre un frein à l’effroi par les ours blancs, grâce à la sublimation?

Mon héros "du pays des ours blancs" a pour modèles les Américains Philip Marlowe et Lew Archer, mais en même temps il est norvégien et appartient à la démocratie sociale, de sa coupe de cheveux à ses confortables chaussures. Sa profession d’origine est: assistant social chargé de la protection des enfants. Il est divorcé, mais ne manque pas d’esprit, solitaire, mais combatif. Et dans le tiroir de son bureau, tout en bas à gauche, dans son agence de détective privé à deux pas du port de Bergen, il y a non pas une bouteille de whisky, mais l’alcool norvégien qu’on tire des pommes de terre, akevitt (forme norvégienne du latin aqua vitae, autrement dit l’eau de vie.)

Son nom Varg Veum, emprunté à une vieille expression nordique signifie et implique qu’il n’arrive pas à trouver la paix, et c’est ce qu’il est véritablement: un proscrit, un banni dans la grande ville, un loup solitaire. Le mot "varg" veut d’ailleurs dire "loup" en norvégien.

Les énigmes qu’il résout, et cela en treize langues maintenant, sont multiples: affaires de drogue, enfants réfugiés dans les milieux de la prostitution, néo-nazisme, racisme, crimes écologiques, vengeance dans les milieux du rock, sectes religieuses et criminalité dans l’industrie pétrolière. Donc, une grande variété.

Cette série consacré à Varg Veum me permet, je l’espère, de montrer la nouvelle société norvégienne dans toute sa complexité, des années 70 (soixante-dix) jusqu’à aujourd’hui. J’aborde des thèmes actuels, je décris le développement de la société autour de moi, et pour ce faire, la forme que j’ai choisie, c’est le roman policier.

Pourquoi?

Parce que le roman policier est une forme populaire qui s’adresse à un vaste public, et parce qu’il est important à mon avis qu’un écrivain qui a quelque chose à raconter ait le plus grand nombre possible de lecteurs.

Parce que le roman policier est à même de montrer la société dans son ensemble: le fil conducteur que constitue l’intrigue peut en effet mener le détective du haut de l’échelle sociale jusqu’aux bas-fonds.

Et enfin, et c’est peut-être le plus important, parce que j’ai toujours aimé lire des romans policiers. Au fond, tous les auteurs écrivent les livres qu’ils aimeraient lire, s’ils étaient écrits par d’autres.

En Norvège on dit de plus en plus souvent que c’est grâce au roman policier que la bonne vieille historie, la narration, a survécu dans la littérature moderne. Personellement je me sens beaucoup plus proche de Balzac et de Dickens que de Beckett et de Robbe-Grillet.

Encore plusieurs des écrivains norvégiens ont choisi le forme du roman policier, le polar, les dernières années. Après tout il y a peut-être en Norvège davantage d’auteurs de roman policiers que je ne pensais.

Nous somme en tout cas plus nombreux que les ours blancs.

(Traduit du norvégien par Maud Forsgren.)